Jérôme Dupire – Président co-fondateur chez Capgame

  • 1) Tout d'abord Jérôme, peux-tu nous en apprendre un peu plus sur ton parcours ?

  • Mon parcours est tout ce qu’il y a de parfaitement atypique : je suis un ancien compétiteur de haut niveau (Handball puis Boxe Française) ayant presque logiquement suivi une fac de sport (STAPS Nanterre) pour aboutir à un Master en Biomécanique et Physiologie. Une rupture dans l’espace-temps m’a ensuite amené sur les territoires du Conservatoire National des Arts et Métiers, au département Informatique. J’y ai validé mon second Master, en Conception d’Applications Multimédia, puis ma thèse de doctorat, en 2006, dans le domaine des Interactions Homme Machines. Je travaillais à l’époque sur l’utilisation des moteurs 3D temps réel à des fins non ludiques, la numérisation de documents complexes et les interactions innovantes pour les jeux vidéo. La question de l’accessibilité a toujours été un sujet pour moi, depuis la fac de sport, mais c’est seulement depuis une dizaine d’années qu’elle est clairement liée à mes autres sujets de recherche, comme le jeu vidéo.
  • 2) Qu'est-ce qui vous a incité, en 2013, à créer l'association Capgame ?

  • Capgame est né d’une belle rencontre entre quatre personnes : Kousha Kazemzadeh, Guillaume Hessel, Nicolas Boussaingault (qui a quitté l’association depuis) et moi-même. Tous les trois évoluaient dans le périmètre de l’Association Française contre les Myopathies et avaient déjà une activité autour de l’accessibilité numérique et des jeux vidéo. De mon côté, cela coïncidait au moment où je finissais d’organiser un des premiers concours de jeux vidéo accessibles, en marge d’une conférence scientifique (http://handicap2012.cnam.fr/?page=concours). La première rencontre s’est faite au détour du stand du concours, sur le salon Autonomic 2012, à Paris.

    La motivation initiale de la création de Capgame partait du constat double que, d’une part, l’immense majorité des personnes handicapées considéraient par principe que les jeux vidéo ne pouvaient leur être accessible et que, d’autre part, les solutions qui existaient pour améliorer cette accessibilité étaient largement méconnues. Notre action principale a donc été de communiquer sur l’existence des solutions matérielles et logicielles favorisant l’accessibilité et, par conséquent, de changer la perception des jeux vidéo chez les personnes en situation de handicap, indépendamment de la nature de celui-ci. Il s’agissait pour nous de rendre l’accessibilité accessible.
  • 3) Quelles actions menez-vous afin d'élargir et d'inclure davantage les joueurs handicapés dans le jeu vidéo ?

  • Depuis 2013, nos actions se sont diversifiées et renforcées. L’activité historique de veille technologique et de création de ressources, ainsi que l’animation de la communauté de notre groupe Facebook (380+ personnes inscrites) sont assurées par Kousha et Guillaume. Au travers de ces deux canaux, ils agissent concrètement pour fournir aux personnes handicapées des solutions pour accéder aux jeux vidéo.

    Depuis le dernier trimestre 2017, d’autres actions se sont mises en place. Stéphane Laurent, fondateur de Game Lover (www.game-lover.org), a rejoint Capgame. La nouvelle section « Testing » de Capgame est donc assurée par lui et son équipe des Papillons Blancs de Roubaix-Tourcoing. Concrètement, cela permet de donner des informations sur le niveau d’accessibilité des jeux vidéo actuels et permet aux joueurs handi de savoir, avant de les acheter, quelles sont les difficultés et les adaptations éventuelles qu’ils y trouveront.

    Nous avons également mis en place un axe « Recherche », dont la vocation sera d’initier la création de ressources innovantes : documents, matériels ou logiciels. Il est aujourd’hui animé par Séverine Malin, jeune chercheuse. Un axe « Formation et Consulting » a également démarré, sous la direction de Pierre-Antoine Cinquin, également jeune chercheur.
    Cet action vise à former ou accompagner les professionnels du jeu vidéo dans le développement de produits toujours plus accessible.
  • 4) Capgame semble avoir été mis sur le devant de la scène depuis quelques mois. Comment expliques-tu cette visibilité nouvelle ?

  • Une évolution importante de la législation aux USA, la signature du 21st Century Communication and Video Accessibility Act, a entrainé l’apparition d’exigences strictes en terme d’accessibilité, concernant les produits et services numériques actuels et à venir. Les secteurs impactés englobaient celui du jeu vidéo, tant du point de vue des plateformes que des logiciels. Une nécessité d’alignement avec ce nouveau référentiel a donc provoqué au niveau mondial un intérêt important pour ces questions d’accessibilité et d’inclusion.

    Parallèlement à cela, le jeu vidéo a atteint aujourd’hui un bon niveau de maturité, qui lui permet de s’intéresser à des sujets périphériques, comme les conditions de travail dans l’industrie du jeu vidéo, la place des femmes dans cette même industrie (association Women in Games), la position des parents d’enfants qui jouent (Pédagojeux.fr), etc. La question de l’accessibilité et de l’inclusion des personnes handicapées, fort sujet sociétal, a également favorisé cette mise en lumière dans le périmètre du jeu vidéo et, à ma connaissance, Capgame est la seule association française travaillant sur le sujet de l’accessibilité des jeux vidéo.

    C’est dans ce contexte, nous avons été identifiés et soutenus par des personnes et des structures, qui nous ont permis d’atteindre ce niveau de visibilité : le Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs et la Paris Games Week, Xbox France et le Cnam pour la semaine #TousGamers, ainsi que les nombreuses couvertures media, conférences et tables rondes qui en ont découlé.
  • 5) [Instant PUB] : Quelles sont les objectifs de l’association dans cette nouvelle configuration ?

  • Consolider et stabiliser les axes précédents. Nous avons à coeur de maintenir le niveau de qualité de service que nous avions jusqu’à présent. La montée en visibilité de l’association a provoqué une forte augmentation des sollicitations et des sujets nouveaux à traiter. De nouvelles personnes ont intégré le bureau et doivent à la fois s’approprier ces sujets et les structurer en interne. C’est une période très… rythmée.

    Le sujet de l’eSport est également apparu comme une évidence lors de la Paris Games Week, comme une forme de terrain de convergence de nos différents axes : toucher le grand public et le public spécialisé, fédérer les efforts des acteurs (organisateurs d’événement, éditeurs de jeux, fabricants de matériels) pour favoriser l’inclusion des joueurs handi, amener les joueurs handi à un niveau de pratique compétitive et de dépassement de soi. Ce sujet s’avère passionnant car tout est à construire. La dynamique et la temporalité sont également bonnes, avec l’installation de France eSport, la mise en place du groupe d’étude à l’assemblée nationale sur le jeu vidéo et l’engouement exponentiel pour cette forme de pratique du jeu vidéo.
  • 6) Ton activité professionnelle d'enseignant-chercheur au Conservateur National des Arts et Métiers de Paris est en lien direct avec les actions de Capgame. En quoi consistent tes domaines de compétence auprès du CNAM ?

  • Les deux activités sont effectivement intimement liées et les sujets et questions traitées sont partagés. Mon activité de recherche au Cnam va néanmoins déborder du périmètre des jeux vidéo. Je suis susceptible de travailler sur des questions plus globales d’accessibilité numérique. Par exemple, certains de mes travaux en cours s’intéressent à la manière de concevoir des forums en ligne accessibles à des personnes sourdes qui utilisent la langue des signes pour communiquer (et qui ne maîtriseraient ni la lecture, ni l'écriture). Toutes les interfaces et contenus devront donc être proposés sous forme vidéo ou iconographique, ce qui questionne profondément la manière dont ces contenus sont présentés et organisés. Je travaille également sur la conception de bandes dessinées numériques accessibles aux lecteurs utilisant cette même langue des signes. D'autres questions peuvent être beaucoup moins tangibles, comme la définition des contenus (savoir et savoir-faire) qui doivent être au programme des étudiants dans le domaine des jeux vidéo. Que doit apprendre un Game Designer afin d’être compétent sur le sujet de l'accessibilité des jeux vidéo ? Que doit apprendre le développeur ? L'UX designer ? Quels sont les sujets communs et quelles sont les compétences spécifiques ?
  • 7) Enfin, le conseil du Chef : Que conseillerais-tu (ressources documentaires, process, etc.) à des créateurs d'événements vidéo-ludiques qui souhaiteraient accueillir le mieux possible d'éventuels joueurs handicapés ?

  • Si on parle d’événement, plusieurs choses sont importantes. Tout d’abord, l’accessibilité des bâtiments est primordiale. Même si ce sujet est de mieux en mieux compris et anticipé, des lieux ne sont aujourd’hui toujours pas accessibles. Il est évidemment compliqué de parler d’accessibilité des jeux vidéo si les personnes ne peuvent même pas atteindre le PC ou la console. Il est donc fondamental de se renseigner en amont sur cette question.
    Concernant l’accessibilité des jeux, le sujet est autrement plus complexe. Il existe une infinité de situations de handicap et on ne peut envisager un traitement au cas par cas. Par ailleurs, si un certain nombre d’aménagements sont du ressort des organisateurs (mobilier accessible, communication et informations alternatives, accompagnement, etc.), la plus grande capacité d’action reste du côté des développeurs de jeux vidéo. Si les possibilités de réglages et d’adaptations ne sont pas disponibles dans les jeux (comme le remapping des touches, l’ajustement de la vitesse du jeu, le sous-titrage des voix, la suppression des Quick Time Events, pour n’en citer que quelques uns), il sera difficile de proposer des expériences accessibles. Tant que ces habitudes de développement ne seront pas installées dans les studios, la seule possibilité pour les organisateurs restera de choisir les jeux les moins inaccessibles, en allant par exemple sur Capgame Testing ;)


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